Pensant à notre humanité, je me vois toujours assis sur la pointe d’une des hautes montagnes chez nous en Suisse, contemplant cette masse de gens où chacun vit, s’agite, court à ses occupations. Et je compatis. Je nous sens vibrer, espérer, souffrir, parfois rigoler, de haut je vois les papas courir pour nourrir leur famille, les maman répéter les gestes quotidiennes qui font qu’on se sent bien chez soi. Je vois notre petit monde comme ils s’était incrusté dans mon cerveau de petite fille il y a bien longtemps.
Et j’avais un chat, un petit tigre gris.
Il était beau, quand je rentrais de l’école je l’ai pris dans mes bras et on restait ensemble, il jouait autour de moi. je le chatouillait et il aimait me mordiller, j’étais heureuse, noyée avec lui dans un monde à part où le reste avait perdu ses contours, devenant plus transparent. Puis un jour il n’était plus là.
En rentrant de l’école je le cherche partout dans notre logement bien fermé, dont il ne s’échappait jamais, je finit par remarquer le comportement spécial de mes parents. Ils baissent la tête, arrêtent de se disputer, leur silence m’allarme.
Où est Moutzi?
..
Pas de réponse. J’insiste, finis par leur crier dessus. C’est la faute du propriétaire, il ne tolère pas de chat adulte dans son immeuble.
C’est tout, pas d’autre explication. On ne me raconte pas ce qu’ils ont fait, ou ils l’ont emmené, pas ce qu’il vit. Le vide. Mais qu’est-ce que Moutzi est en train de vivre, juste maintenant? Le vide total. J’avais 11 ans. Je ne leur ai jamais pardonné d’avoir fait souffrir Moutzi.
Plus tard j’apprends que les guerres font perdre à un enfant avec son chat préféré aussi tout le reste, tout ce qu’il a connu.
Pensant aux enfants à Gaza, je ne ressens que cet immense vide d’autrefois quand Moutzi est passé à la trappe et je sais, j’en suis absolument certaine, que cette facture là c’est toute l’humanité qui va la payer.
Oh que oui.